Salut Eg,
Je suis un peu comme Miro. Globalement je trouve ça dur de naviguer dans les réseaux sociaux où les gens parlent de façon familière comme si on était tous potes alors qu'on se connaît pas. Il y a un équilibre qui est difficile à trouver (tu veux pas paraître chiant ou froid, mais il faut pas être trop familier non plus) et on tend à copier les façons d'écrire des gens autour de nous, mais c'est facile de commettre un impair dans un sens ou dans l'autre. Donc je te jette pas la pierre mais je dirais aussi d'éviter ça sinon avec tes proches. La personne en face n'a pas forcément envie de ce degré d'intimité dans la conversation, quel que soit le contenu de cette dernière. Comme on dit, on a pas élevé les cochons ensemble ! (j'aime cette expression là xD)
Ensuite, il faut aussi replacer cela dans le cadre des relations parasociales. En tant qu'autaire (neutre d'auteur·e selon la
grammaire inclusive d'Alpheratz) qui parle de soi dans un texte, ton public te connaît dans une certaine mesure, tandis que tu ne connais pas ces personnes individuellement. Ça crée un déséquilibre et tu n'as pas forcément l'intention de t'investir dans des conversations avec ce public, qui va souvent être sur ce mode familier. Basiquement, on a une capacité limité à avoir des amis/du temps limité pour les discussions. Il y a des gens qui auront la capacité et l'envie d’interagir plus, d'autre non. Donc quand tu es face à quelqu'un qui se confie parce qu'il/elle a été inspiré·e par ton texte, ça peut être délicat en mode "too much information". Je dis pas qu'il y a une façon bien de gérer ou non ces interactions, je pense juste que c'est évident pour personne. J'irai pas blâmer quelqu'un qui comme toi va écrire à an autaire pour échanger sur un mode perso ; parfois, cela peut toucher la personne et c'est aussi chouette d'exprimer le fait que son oeuvre t'a apporté, et globalement exprimer de la reconnaissance. Mais je dirais qu'il vaut mieux ne pas avoir d'attente relationnelle derrière ; globalement c'est juste comme mettre un petit mot dans un livre d'or. La personne aura pas forcément le temps ou l'envie de se lancer dans une longue correspondance.
Là encore, ce n'est probablement pas du tout ce que tu voulais, mais puisque tu demande ce qui a pu être maladroit, j'essaye de te répondre ! Du point de vue de la personne qui t'a répondu, iel peut notamment craindre > du harcèlement sexuel / des attentes démesurées de la part de personnes qui n'ont pas un bon sens des limites sociales ou relationnelles / de la curiosité mal placée....... Tout cela est extrêmement courant quand on fait partie d'une "minorité" et qu'on a une présence publique.
Est-ce que ça veut dire que tu ne devrais pas interagir avec des personnes trans ou non binaire ? Non bien sûr, mais il vaut mieux ne pas avoir d'attente lorsque tu essaye de contacter / établir un dialogue, en comprenant que ces personnes ont une vie et pas forcément envie de parler du genre avec le premier venu juste parce qu'elles ont cette expérience de vie. Ca peut devenir hyper usant, et quoi que tu fasses, tu deviens une vitrine pour ta communauté où tout ce que tu dis et fait va devenir un enjeu d'argumentation pour des gens qui souvent en font une question purement philosophique ou morale. Il n'y a pas de bien ou de mal ici, c'est juste compliqué pour tout le monde et j'essaye d'éclairer sur ce que c'est d'être dans la position trans à l'heure où les médias font de ton existence un "sujet de société". Il se peut qu'il n'y ait pas un si grand écart entre expérience subjective cis et trans et non binaire, comme les autres ont dit, on est tous différents individuellement ; par contre il y a une grosse différence dans la façon dont la société et les autres nous traitent, dans nos droits fondamentaux, et ça ricoche sur le reste.
En général, j'offrirais une possibilité de retrait à la personne avec qui j'interagis de façon parasociale (style "je suis désolé si ce message t'apparait comme déplacé, ce n'était pas mon intention, mais il n'y a aucune obligation à me répondre !") pour bien montrer notamment que tu ouvres la possibilité d'une conversation mais que tu ne la forces pas à arriver - et ça c'est pour toute relation parasociale sur le net, pas spécifiquement pour les personnes minorisées.
Moi, ça m'est arrivé d'être dans ta position vis à vis de personnes racisées militantes où j'ai été très maladroit malgré de la "bonne volonté", donc je comprends la difficulté de cette position et je ne cherche pas à te blâmer particulièrement, mais on ne peut pas se contenter d'accuser les gens d'être trop sur la défensive. Il faut comprendre qu'on a beau vouloir créer une interaction sur un pied d'égalité, il y a une forte dissymétrie dans la situation et la relation ; on ne peut pas toujours juste discuter d'humain à humain lorsqu'on est dans des positions différentes. Quand on est la personne "dominante" (blanche dans ma situation, cis dans la tienne) face à quelqu'un qui est opprimé, on peut ressentir un fort malaise parce que l'on est mis face à des choses que l'on n'a jamais questionné. Je suis pas en train de dire que toutes les personnes trans ou non binaires sont de pauvres victimes et que les personnes cis sont des oppresseurs, juste que la société ne nous traite pas pareil et que des choses qui sont difficiles ou importantes pour nous, sont totalement invisibles pour les personnes cisgenres. Vouloir apprendre et bien faire est l'attitude la plus saine et positive face à ça. Il faut juste intégrer que tu t'adresses à des gens qui parfois en chient, et ont pas envie de faire de la pédagogie tout le temps. Ce n'est donc jamais notre dû, quand on est une personne non concernée, de recevoir des explications ou de l'attention.
J'aimerais ajouter quelque chose de plus personnel sur la culpabilité et la peur de mal faire ; je dois dire qu'après cette maladresse que j'ai évoqué plus haut, où je me suis aussi bien monté le chou tout seul, j'ai été très déprimé, limite auto-destructeur. Je pense qu'on a des lignes de faille personnelles sur certaines de ces questions, et c'est difficile à expliquer, mais c'est plus le reflet de nos propres ombres qui nous blesse. Je dirais de ne pas surinvestir un incident comme celui-ci ; tu n'as fait qu'envoyer un message, quelqu'un l'a peut être mal pris, il n'y a pas mort de personne x) On vit tous dans une ère d'égocentrisme où on veut parfaitement réussir nos interactions, et c'est peut être un peu ridicule. Il ne faut pas le monter en épingle et généraliser. Au final, faire preuve d'empathie et de souplesse, de pardon pour soi et les autres pour cette imperfection. Et ce n'est pas notre faute si on est de tel ou tel bord, identité, position sociale ; on a pas choisi, on peut juste faire au mieux. Je ne pense pas qu'on peut choisir entre individualiser complètement les rapports (on est tous des humains au final) ou systématiser (voilà comment il faut s'adresser aux personnes trans quand on est cis). Plus on interagit avec des gens différents de nous, plus nos angles morts diminuent, et plus on a la possibilité de dissoudre une partie de notre identité (ça, c'est une conviction personnelle) ; cisgenre est un terme qui n'est utile que pour désigner la position sociale des personnes qui ne font aucune forme de transition pour moi. Même ces termes ont une histoire complexe et n'ont pas de consensus dans la façon dont ils sont appliqués. Simplement, il est courant de voir des cisdudes faire de tout ça un problème théorique à résoudre auquel ils veulent une solution A+B ; quand il n'y a pas de réponse simple et que pour nous, ce n'est pas juste une question théorique ou philosophique mais notre survie qui est en jeu. C'est une question d'éducation et de valeurs elles mêmes genrées...... d'approcher les choses de cette façon. Et il y a aussi des mecs "déconstruits" qui semblent avoir surtout envie de se rassurer sur leur bonne conscience/se déculpabiliser et d'autres (ou les mêmes ?) qui veulent tremper leur bite et fétichisent les personnes trans. Ca fait beaucoup d'attention pas voulue pour nous, et ça explique un peu la méfiance qu'on peut avoir face à des gens bien intentionnés pourtant, parce qu'on peut pas être sûr que c'est pas juste une façade - au delà des questions de maladresse pure.
J'espère que cet éclairage pourra t'apporter un peu plus de contexte et surtout, que ce n'est pas "méchant" ou blessant. Je ne cherche pas à te ranger dans une démarche ou une case ou à t'accuser ; je trouve que ton attitude est bonne et je t'encourage à ne pas te laisser bouffer par l'anxiété que peuvent causer les erreurs ou la peur des erreurs dans les relations. Mais il ne faut pas tomber dans la facilité opposée et ignorer la complexité du ressenti et de la situation de la personne en face de soi, sous prétexte que "on veut bien faire". Si ce raté t'a blessé, s'il t'a angoissé comme cela a été mon cas, ne referme pas trop vite cette blessure et ne te laisse pas abîmer dedans ; garde en la cicatrice comme la preuve de ton humanité. Le désir de connexion est bien plus profond et vrai que celui de résoudre un problème, et la distance qui sépare les êtres est le reflet de notre condition. Il faut laisser des choses irrésolues.
... voilà, c'est à mon tour de m'excuser de m'être laissé emporté en roue libre. Peut-être que mes explications sont confuses ; elles n'engagent que moi, et si j'ai mésinterprété la situation ou que je me suis permis de présumer de ton ressenti, j'en suis navré ! J'ai cependant voulu montrer qu'il y a plusieurs postures impliquées et qu'il n'est pas si évident de les réduire à individu A parlant à individu B.