Par ailleurs, le documentaire ne manque pas de balancer des conneries généralistes de type « pour mener sa vie d'homme transgenre, Orion devra continuer à s'injecter de la testostérone toute sa vie au rythme d'une fois par mois » – alors certes le Nebido n'existait pas encore en générique à l'époque du tournage, mais on n'a aucun élément qui permette de savoir si ce jeune a fait une hystérectomie totale avec ovariectomie, ni de rappel qu'il est tout à fait possible (et je dirais plus fréquent qu'on ne le croirait) d'interrompre la prise de T une fois certains effets obtenus à condition d'avoir conservé ses ovaires
Je grince vraiment des dents en voyant le montage d'Emma visionnant des témoignages de YouTubers qui évoquent leur transition et leur expérience d'angoisses ou non lors de leur parcours, qui sont présentés ayant induit Emma en erreur et l'incitant à ravaler les doutes qu'elle dit avoir ressentis à 15 ans, la veille de sa première injection. Je cite :
Emma : « Au final ce qui sort c'est juste que c'est normal, tu es sur le point de commencer quelque chose de quand même assez important, tu sais ce qui t'a amené·e à ce choix-là, donc fais-toi confiance et vas-y. »
Le premier YouTuber : « Tout le monde ressent cette grosse hésitation un jour dans sa vie, pas besoin d'être transgenre pour l'avoir. Donc la peur du regret c'est normal et légitime, c'est pas une peur qui doit vous réfréner dans votre transition, c'est pas une peur qui doit vous empêcher de faire une transition en fait. »
Re-Emma : « Je pense qu'il y avait une part d'hésitation de ma part, mais du coup de voir des gens qui disaient que c'était normal des doutes, ça confirme les choix qu'on fait. En tout cas ça m'a confirmé les choix que je faisais sur le moment. »
[enchaînement de YouTubers, dont « Tu as le droit de faire une transition à n'importe quel âge / Comment savoir si on est une personne transgenre ou non / J'ai fêté mes deux ans de testostérone, c'était vraiment une expérience incroyable et que j'ai beaucoup aimé vivre et je regrette vraiment pas d'avoir fait ça, genre vraiment c'était cool / Et du coup je suis tombé sur une chaîne YouTube d'une personne transgenre comme moi, je suis devenu obsédé par ça, je pensais qu'à ça »]
Conclusion d'Emma : « Sans internet et sans les réseaux sociaux j'aurais peut-être jamais eu l'idée de transitionner. »
Ce florilège d'influence toxique est suivi d'une nouvelle analyse éclairée du Pr Falissard, décidément présenté comme la voix de la raison, qui glose le bais cognitif nous conduisant à « privilégier des informations qui viennent de gens qui pensent comme nous ». Là encore, le documentaire me semble partisan et nocif dans sa façon de présenter un échantillon de témoignages ou conseils d'ados sur internet comme LE facteur prédominant qui a entraîné le chemin de vie qu'Emma regrette à présent. Si j'avais réalisé ce docu, j'aurais interrogé davantage la solitude manifeste d'Emma, son absence d'interaction avec des personnes trans réelles, les doutes qu'elle a tus à ses proches et aux professionnel·le·s de santé qui l'accompagnaient... À l'époque fort ancienne de ma transition, bien avant l'explosion de discours liés au féminisme critique du genre, internet regorgeait aussi déjà de blogs et vidéos YouTube hostiles aux transitions ; on trouvait des témoignages de détransition (d'ailleurs souvent montés en épingle par les dites bloggeuses
gender critical) et je sais que mon expérience d'être aspiré de façon non moins « obsessionnelle » par des sites explorant les motifs de regrets, d'erreur etc. est partagée par de nombreux amis ou personnes croisées en groupes de parole. Il ne m'a pas fallu chercher longtemps des témoignages de transition sur YouTube pour que ce type de contenu me soit à nouveau spontanément proposé ce soir : il est tout simplement malhonnête de dire que les plateformes sociales de type YouTube sont saturées d'incitations à la transition, alors qu'il existe aussi pléthore de contenus prêchant l'inverse.
Que dire quant à l'assimilation du binding à « se faire du mal physiquement », là encore par un effet de montage grossier et une insistance sur une expérience personnelle négative présentée comme vérité générale (« ça coupe la respiration, au bout de quelques foulées je commence à être très essoufflée » / la mère : « Emma c'était une personne qui adorait courir vite... et avec le binder, bah elle n'a plus pu. Elle pouvait pas bien respirer. »)... ça me donne envie de hurler en tant que personne qui n'a pas arrêté de pratiquer la course à pied ni la rando itinérante avec des journées à 20+ km par 25-30°C avec binder. Est-ce que c'était une expérience agréable ? Non. Est-ce que j'ai souffert au plus profond de mon corps et que j'ai dû renoncer à mes activités en extérieur ? Non plus, ni les personnes transmascs que j'ai connues plus tard en club de course à pied. Ça dépend tellement du matériau du binder, de la taille, etc... mais c'est profondément malhonnête de présenter le binder comme un instrument de torture « pas humain ».
Dans ce contexte, la mastectomie d'Emma est présentée de façon finalement plutôt positive par sa maman qui revient avec émotion sur le moment où elle a vu son enfant pour la première fois en t-shirt, alors que sa poitrine avait toujours été une source d'inconfort / détresse profonde systématiquement dissimulée sous des couches et des couches de vêtement : « Ça, à refaire, je le referais. Dans le contexte des choses, je referais. »