En 2018, j’ai connu on premier coeur brisé, avec ce mec, un mètre quatre-vingt-six, blond, yeux bleus, absolument brillant. Les six mois qui ont suivi ont été une énorme remise en question. Je me suis rapidement rendu compte que plus qu’un coeur brisé, j’étais affreusement jaloux de ce type, car il avait tout ce que je rêvais d’avoir. Après cet épisode, j’ai commencé, uniquement sur les Internets anglophones, à me genrer au neutre. C’est vers 2019 que j’ai trouvé ce qui n’était initialement qu’un nom de plume, Louison.
La féminité n’a jamais été mon fort. J’ai toujours eu une voix assez grave, même enfant, ce qui dénote avec mon physique de lutin, une poitrine comparable à des œufs sur le plat, et des épaules de rugbyman que mes amies transféminines adorent, car elles les rassurent sur les leurs (

Je n’arrive pas trop à savoir si je suis dysphorique. Etant neuroatyique, mettre des mots sur ce que je ressens n’a jamais été mon fort (en atteste le « coeur brisé » qui n’était en fait qu’une jalousie maladive). Je n’ai jamais été satisfait de mon physique, ce qui est hélas commun à la plupart des femmes cis. Pas assez grande, pas assez bien formée, un nez de bulldog. J’imagine que la dysphorie doit être ce que je ressens lorsque je remarque que je perds mes cheveux par poignées, que je prends du poids sans raison, que ma moustache pousse sans explication (j’ai enfin pris mon courage à deux mains pour consulter un médecin, mais vu mon passif familial, ça sent les problèmes de thyroïde)… Malgré tout je n’arrive pas à me résoudre à prendre rendez-vous pour une épilation définitive, toujours sous le prétexte de « Je le regretterai un jour ». De même pour l’achat d’un binder, ou de vêtements d’homme, déjà ces derniers m’ennuient à mourir, et je suis même pas sur que mon allure me conviendrait pour autant avec.
Je suis bisexuel.le avec une grosse préférence pour les hommes, ce qui me donne souvent un sentiment d’illégitimité dans les milieux queer dans lesquels j’évolue. Souvent, je me surprends à penser que je ne suis pas non-binaire non plus, et que tout ceci est un moyen pour moi de continuer à traîner avec ces gens-là . Mais l’idée de relationner sur le long terme avec des mecs hétéros me donne la gerbe, d’ailleurs lorsque j’étais ado, ce n’était pas rare que je m’enferme des jours durant dans ma chambre après que l’un d’eux de drague.
Récemment, j’ai emménagé dans mon propre appart. Je ne porte plus de jupes, de vêtements roses, et j’ai radicalement coupé mes cheveux. Physiquement, je me sens moins mal à l’aise que lorsque je m’habillais de manière féminine. L’authenticité est présente. Malgré cette allure androgyne, personne en dehors de mes amis queer ne savent ou ne se doutent de quoi que ce soit. Ils m’appellent encore par mon deadname. Mon père a su récemment que mes collègues de travail me nommaient Louison, mais je lui ai vendu ça comme un surnom. Je repousse la deadline, indéfiniment mais… En attendant quoi ? Car dans un coin de ma tête, il y a toujours cette possibilité que je sois un mec, et qu’un jour, je tente une transition. Et là encore, on en revient au même problème que pour l’épilation : « Je le regretterai un jour ». Dans le milieu militaire d’où je viens, le genre est le tabou ultime. Si je venais à cesser mon parcours de transition, j’aurais juste fait perdre du temps à tout le monde, et gaspillé ma précieuse énergie pour rien.
L’actuelle recrudescence de transphobie dans les milieux féministes, desquels je reste proche par le biais de mon asso et de mes ami.e.s de fac, n’aide absolument pas. Quand je vois des célèbres influenceuses féministes partager des textes qui appellent clairement au meurtre des hommes parce qu’ils sont défaillants, quand je vois des nanas qui se disent « lesbiennes politiques » sortir avec des mecs trans sans comprendre à quel point c’est biphobe et transphobe, quand je vois que la faible représentation des mecs trans dans les médias français se limite à des citadins issus de milieux bourgeois et très éduqués, sans parler de la déconnexion totale de nos institutions sur le sujet, j’ai l’impression que c’est pas pour moi. J’ai pas envie de me battre contre ça. Tout ce que je veux, c’est de me lever un matin, et d’être devenu un grand blond d’un mètre quatre-vingt-cinq, avec un métier stable, et qui peut gérer qui il veut en claquant des doigts. Et de ne plus avoir à me soucier de toute cette hostilité, toute cette incertitude, tous ces questionnements, ces jugements de valeur.
Je vous remercie de m'avoir lu. Je n'attends pas de réponse type "tu es certainement trans", vu c'est quelque chose de très personnel. J'ai surtout besoin de partager mes inquiétudes auprès de gens qui comprennent, qui sont passés par là . Dans mon entourage, il n'y a pas un seul mec trans qui a entièrement transitionné et vit sa vie en tant que mec, ce qui ne doit pas m'aider à me projeter non plus.